Quand l’Église ordonne diacre un homme marié, elle demande l’assentiment de son épouse. Et pour cause. Le diaconat bouleverse la vie du couple et de la famille.
«Juste après l’ordination de Jean, j’ai été très révoltée », raconte Pascale, dont le mari a été ordonné il y a trois ans. Mère de famille engagée dans sa paroisse de Poissy (Yvelines), elle avait pourtant traversé avec une grande sérénité les années de discernement et de formation aux côtés de son mari, vécues dans le secret, « et blottis dans le cœur de Dieu ». L’occasion d’un approfondissement de leur vie spirituelle en couple, de moments partagés et d’enrichissements ecclésial et intellectuel.
À peine celui-ci ordonné, « j’ai fait face à un déchaînement de secousses que je n’avais pas anticipées ». Mari happé par sa mission, tout à « la joie des nouveaux départs », difficulté de trouver sa place, ou encore tentation de la jalousie – « Moi aussi, j’ai suivi une formation ! » –, Pascale a l’impression d’être tiraillée. Trois ans plus tard, elle sent désormais la paix s’installer et les équilibres se trouver. Mais la vie d’épouse de diacre n’est pas sans défis.
« L’Église me demande d’ordonner diacre votre mari. Acceptez-vous tout ce que le diaconat qu’il va recevoir apportera de nouveauté dans votre couple et votre vie de famille ? », demande l’évêque quand l’ordinant est marié – c’est le cas neuf fois sur dix. Le rituel ne ment pas ; le « oui » de l’épouse l’embarque dans une vie à la fois riche et complexe, faites de joies… mais aussi de renoncements ; déjà, lors de cette messe d’ordination qu’ils vivent, lui dans le chœur, elle, aux premières loges de l’assemblée. Vêtu de son aube il s’allonge de tout son long. Puis il reçoit l’imposition des mains et promet obéissance à son évêque, les mains jointes dans les siennes. Étonnant appel, depuis la restauration par Vatican II du diaconat permanent, et son ouverture à des hommes « mûrs, même mariés » (constitution dogmatique Lumen gentium, n° 29), que d’accompagner son mari dans l’exercice d’un ministère ordonné.
Pascale raconte la nouvelle visibilité dans sa paroisse, qu’il a fallu apprivoiser : « Que vous le vouliez ou non, vous n’êtes plus regardés de la même façon. Non seulement votre mari, au travers duquel les paroissiens voient le signe de quelque chose de plus grand que lui – beaucoup nous l’ont témoigné, c’est d’ailleurs très beau –, mais aussi toute la famille. Elle a appris à faire de cette nouvelle donne un chemin de plus grande liberté : le Seigneur ne nous demande pas de changer, Il nous connaît trop bien ! À nous d’abandonner quelque chose de nous-mêmes en assumant cette visibilité un peu lourde à porter. »
La première mission du diacre marié : sa famille
Bénédicte, dont le mari Philippe a été ordonné en 1998 dans le diocèse de Nice, s’estime heureuse d’avoir été invitée par celui-ci à suivre les six années de discernement et de formation de son mari. Elles lui ont permis d’être alertée sur les renoncements qu’un tel chemin impliquait : « Quand je vois mes amis jeunes retraités partir en voyage, profiter largement de leurs amis et de leurs petits-enfants, je me dis que nous ne pouvons pas nous en permettre autant », remarque cette mère de cinq enfants, aujourd’hui jeune grand-mère. Quand les enfants s’annoncent pour le week-end, Philippe est souvent pris par son ministère. Et Bénédicte n’a pas toujours une vie amicale et sociale aussi remplie qu’elle le voudrait, faute de temps. Sans se soustraire à l’obéissance promise, « il est important de savoir dire non, quand le couple et la famille sont menacés », prévient-elle. Bénédicte se souvient avoir traversé « une vraie crise de couple » quand son mari a accepté de devenir aumônier de tout un collège, alors qu’il travaillait et que sa santé était fragile. « Je trouvais que c’était de la folie. Il s’est senti obligé d’accepter, parce qu’en septembre on n’avait trouvé personne d’autre. Ça a d’ailleurs fini par ne plus marcher. » Le jour de l’ordination, l’évêque leur a martelé que la première mission d’un diacre marié se trouvait au sein de sa famille. Les jeunes grands-parents ont retenu la leçon, et s’octroient un mois l’été dans leur maison bretonne, en parfait accord avec le curé de leur paroisse.
Contrairement à l’expérience des catholiques orientaux, être l’épouse d’un homme ordonné est récent dans l’histoire de l’église latine : « Le Concile nous a laissé un cadeau précieux, mais qui, comme tout cadeau, doit être découvert et apprivoisé », explique Gilles Rebêche. Ce diacre célibataire, qui a fait partie des premiers diacres permanents, a beaucoup approfondi la question du diaconat, au côté de Mgr Gilles Barthe, l’évêque qui l’a ordonné et qui a pris part au Concile : « Nous en sommes aujourd’hui encore à défaire le paquet d’emballage ! » Marie-Françoise Maincent, elle-même épouse de diacre et auteur d’un mémoire de maîtrise de théologie intitulé Les Épouses dans l’aventure du diaconat, entre constats et requêtes, partage cette analyse : « Ainsi l’Église a ouvert un chapitre nouveau », déclarait-elle dans une conférence à Strasbourg en juin 2015, et l’épiscopat, « les catholiques, les diacres eux-mêmes, s’aperçoivent que la place des épouses de diacres n’est balisée que par très peu de repères antérieurs ».
En quelques décennies, l’Église a appris à mieux accompagner les épouses de diacres – même si certaines se sentent encore un peu délaissées. Il faut dire que plusieurs séparations ou divorces au sein de couples de diacres permanents ont sérieusement ébranlé les évêques de France, dans les premières années qui ont suivi la restauration du diaconat permanent. « Dans les débuts, la formation des diacres laissait à désirer, et il n’y avait aucun suivi pour leurs épouses », se souvient le Père Stéphane Maritaud, vicaire général dans le diocèse de Bourges. Désormais, s’il remarque qu’une épouse se tient à l’écart du parcours de formation qu’elle est invitée à suivre, il interpelle le couple sur son cheminement. Appelée à être déléguée des épouses au Comité national du diaconat (au sein de la Conférence des évêques de France) pendant six ans, Marie-Françoise Maincent se souvient du tabou qui a longtemps entouré la place des épouses de diacres : « Quand je suis arrivée, en 2001, je n’entendais parler que du “problème” des épouses. Puis les choses ont changé : on est passé à la “question” et enfin au “chantier” des épouses. »
Parmi les difficultés relevées dans les enquêtes qu’elle a alors menées, le fait que « certaines ne s’autorisaient pas à dire que ce n’était pas facile ». Et de pointer le danger important du rapport ambigu à l’Église quand, par exemple, une épouse accepte l’ordination pour ne pas blesser son mari ou paraître manquer à son devoir. « Il n’est pas facile pour une épouse de rester libre, explique-t-elle, parce que c’est l’appel de son mari qui est en jeu et non le sien, ce qui lui donne une lourde responsabilité. Pourtant, il est essentiel que la décision soit aussi la sienne, pour que le diaconat soit bien vécu en couple. » Au cours des rencontres qu’elle organise pour les épouses dont le couple discerne un appel au diaconat, elle les invite à réfléchir à la nature du « oui » qu’elles donneront : « Est-il : une acceptation ? Une permission ? Une concession ? Une résignation ? Une démission ? Une promotion ? Ou bien, une adhésion libre et lucide à l’ordination de leur mari ? »
Source: Famille Chrétienne, 09/01/2017